Avenir du Parti socialiste : trois scénarios. Publié dans l'Express.fr

En sa cent-douzième année d’existence, le Parti socialiste a subi la plus cuisante défaite de son histoire. Il connaît une crise d’effondrement, marquée par la désaffection simultanée de ses deux bases sociales : la petite bourgeoisie urbaine diplômée (enseignants, fonctionnaires, cadres, professions libérales…), passée massivement à En marche !. Et la fraction des classes populaires restée à gauche, qui a largement voté pour la France insoumise (LFI). L’onde de choc de ce désastre n’ a pas fini de produire ses effets dévastateurs : la démoralisation a gagné de nombreux militants et élus, qui se replient sur leur sphère privée : métier, famille, hobbies… La volonté autodestructrice d’en découdre entre camarades en anime quelques autres.

 

 Le fait que cette défaite s’inscrive dans un mouvement d’ensemble qui frappe à des degrés divers tous les partis sociaux-démocrates, et même tous les partis de gouvernement – voyez l’état de LR en France ou du parti conservateur en Grande-Bretagne… -, n’est pas une consolation. Il nous invite néanmoins à ne pas imputer nos déboires à des causes purement nationales, même si celles ci jouent évidemment aussi un grand rôle. La question est de savoir si cette désaffection des électeurs socialiste à l’égard de leur famille politique est réversible, dans un avenir rapproché, ou bien si elle est définitive, comme le fut celle des électeurs communistes à l’endroit du PCF ou ceux de la gauche modérée à l’égard du Parti radical. La réponse dépend de trois facteurs : l’aptitude de LREM et de LFI à consolider leurs offres politiques respectives ; celle du gouvernement Philippe à réussir ses réformes et à obtenir des résultats ; la capacité du PS, enfin, à se rénover de fond en comble, en inventant une social-démocratie du XXIème siècle. La réalisation de ces trois  pré-requis n’est nullement assurée, et la question de l’avenir du PS reste donc ouverte.

Trois scenarii s’offrent schématiquement à notre sagacité : le premier est celui de la marginalisation du Parti socialiste : bénéficiant d’une conjoncture économique favorable, Emmanuel Macron réussit à asseoir l’hégémonie de LREM, son parti-entreprise néo-centriste, dans le champ politique français, face à une droite et à une gauche affaiblies et fragmentées. La politique d’Edouard Philippe connaît un relatif succès et sa majorité gouvernementale s’enracine dans les territoires à la faveur des élections municipales de 2020. De son côté, Jean-Luc Mélenchon surmonte sa nature volcanique et s’acquitte avec succès du rôle qu’il affectionne entre tous, celui de tribun du Peuple, exprimant ses colères et posant ses revendications.

Oubliant sa culture de gouvernement et retrouvant son identité la plus profonde, le Parti socialiste passe d’une « opposition constructive » à un « mélenchonisme tempéré» (le programme de Mélenchon, moins 30%). Il devient un petit parti résiduel, pour longtemps, et peut-être définitivement. Le processus historique de démocratisation de la société française, dont il a été longtemps un acteur majeur, trouve d’autres canaux politiques pour progresser. La gauche dans son ensemble entre dans une longue traversée du désert – la dernière a duré 23 ans !

Le deuxième scénario est celui de la nouvelle refondation : le gouvernement Philippe s’use rapidement sur les difficultés que le triomphe électoral du macronisme n’a pas abolies : persistance d’un chômage de masse, malgré la réforme du code du travail ; flux migratoires mal maîtrisés ; ratés de l’intégration ; attentats djihadistes... Les médias, aujourd’hui encore bienveillants, se retournent et s’adonnent au « Macron-bashing ». L’opposition frontale de la « droite décomplexée » - LR et une partie du Front national – gagne en audience et récupère un nombre croissant d’électeurs et d’élus conservateurs-libéraux, aujourd’hui macronphiles. Elle prépare sa revanche sur le « hold-up  politique du siècle » dont elle pense avoir été été victime en juin 2017.

Délesté de son « aile droite », revenue à sa famille d’origine, Emmanuel Macron se recentre sur son « aile gauche » : les électeurs et élus socialistes, démocrates-chrétiens, gaullistes sociaux venus à lui aux premières heures de son entreprise.

La « France insoumise » pâtit, quant à elle, des outrances et du sectarisme de son « maximo lider ». Contrairement à LFI, le PS ne se contente pas d’invectiver le gouvernement néo-centriste, mais oppose des propositions alternatives, ambitieuses mais réalistes, à chacun de ses projets. Il élabore et défend le compromis social-démocrate de notre « jeune XXIème siècle » : le passage à une économie de l’innovation et de l’excellence, socialement inclusive et respectueuse de l’environnement. Il propose cet éco-socialisme comme base de discussion pour l’union des gauches et des progressistes. Il rajeunit, féminise, diversifie ses adhérents et ses responsables, et les mobilise très tôt pour la conquête des collectivités territoriales. Le PS s’est toujours reconstruit par la base. Les élections municipales de 2020 seront sa première heure de vérité : elles montreront s’il est capable de récupérer le cœur de son électorat, ou s’il l’a durablement perdu.

Entre ces deux scenarii – la « pasokisation » ou la refondation – il en existe, comme toujours, un troisième, intermédiaire : celui de la fragmentation du champ politique français : LREM entre en crise, sous l’effet de ses contradictions internes, et se décompose, partiellement ou totalement, en ailes droite et gauche. LR ne parvient pas à régler sa crise de leadership. LFI pâtit du plafond de verre instauré, malgré lui, par son despote éclairé. Le PS conserve une base territoriale, mais ne retrouve ni le rayonnement politique ni le (la) leader présidentiable nécessaires pour redevenir le parti de l’alternance qu’il a longtemps été.

Si les socialistes surmontent leur pulsion suicidaire, si dans leurs rangs déprimés et clairsemés, le « Principe Espérance » et la raison militante l’emportent à nouveau sur les haines recuites et la prééminence des égos, ils pourront conjurer le scénario de leur marginalisation, promouvoir celui de la refondation ou, à défaut, optimiser celui de la fragmentation, pour préserver l’avenir.

Henri Weber, directeur des études européennes du Parti socialiste.