Congrès de Poitiers : deux méthodes

Le mercredi 3 juin 2015 11:37

Depuis juin 2012, notre pays compte 600 000 chômeurs supplémentaires. Il ne faut pas chercher plus loin la raison du désamour qui frappe le Parti socialiste au pouvoir, même si d’autres facteurs entrent également en jeu. Le fait que 62 % de Français pensent que la droite sarkozyste ne ferait guère mieux n’est pas une consolation.


Ce qu’on est légitimement en droit d’attendre d’un congrès socialiste, c’est qu’il pose et qu’il réponde à la question : pourquoi en sommes-nous là, alors que le chômage recule ailleurs en Europe ?
Force est de constater qu’à l’exception de celle du Premier secrétaire, les motions soumises au vote des militants occultent soigneusement cette interrogation.
C’est flagrant pour celles de Karine Berger ou de Florence Augier, qui se contentent d’empiler des propositions – 86 pour l’une, 117 pour l’autre -, souvent très générales, sans se soucier de leur faisabilité ni de leur cohérence d’ensemble. C’est vrai également de la motion des frondeurs.
La motion de la direction du PS, et plus encore la contribution dont elle est le prolongement, font exception. Avant de proposer des remèdes, elles dressent un diagnostic de la crise française, à laquelle ces remèdes sont censés répondre.
Si l’Union européenne pâtit d’une faiblesse de la demande, conséquence des politiques d’austérité conduites par les droites néo-libérales depuis 2008, la France connaît de surcroît une sérieuse carence d’offre, qui se lit dans les chiffres de son commerce extérieur : moins 60 mds € en 2014, quand l’Allemagne enregistre un excédent de 217 mds € ! Il y a bien un problème français spécifique : notre pays a subi un brusque affaissement de son industrie. Sa part dans le PIB est tombée de 18% en 2000 à 11% aujourd’hui, rétrogradant la France au 15ème rang – sur 19 ! – des pays de la zone euro. Les raisons de cet effondrement sont multiples. La motion de la majorité retient en particulier : notre médiocre spécialisation dans le milieu de gamme, qui rend nos produits vulnérables à la concurrence par les prix ; la faiblesse de notre tissu de grosses PME et d’ETI innovantes et exportatrices (12 000 pour la France, contre 36 000 pour l’Allemagne) ; l’insuffisance de notre recherche ; les carences de notre système d’éducation initiale et pour adultes ; la piètre qualité des relations entre nos partenaires sociaux, mais aussi entre PME sous-traitantes et grandes entreprises donneuses d’ordre ; la surévaluation de l’euro de 2005 à 2015…
A quoi s’ajoutent la chute des marges d’exploitation des entreprises à un plus bas historique (28% de la valeur ajoutée en 2012, contre 38% en moyenne dans la zone euro, et 40% en Allemagne). Et des obstacles juridiques et législatifs à la réallocation du capital et du travail, alors que la troisième révolution industrielle bat son plein.
De ce diagnostic, dont se dispensent les frondeurs et qu’ils ne partagent sans doute pas, la majorité du PS et le gouvernement tirent une stratégie de réindustrialisation à multiples leviers : l’action de la Banque publique d’investissement, les neuf plans pour la Nouvelle France industrielle, l’extension du Crédit d’impôt recherche aux PME, la réorientation productive de l’Europe, la réactivation de la négociation collective entre partenaires sociaux, la réforme scolaire, l’abolition de l’impôt sur le revenu pour 9 millions de ménages modestes…
Le CICE et le Pacte de responsabilité, qui transfèrent 41 mds d’€, en trois ans, du budget de l’Etat aux entreprises pour contribuer à reconstituer leurs marges et favoriser l’investissement, constituent un élément de ce dispositif. Les frondeurs dénoncent ce « cadeau aux patrons » et lui opposent une classique relance par la demande, c’est-à-dire par l’augmentation des salaires, des prestations sociales et des dépenses publiques. Ce remède est pratiqué depuis longtemps dans notre cher et vieux pays. S’il était efficace, cela se saurait : les prélèvements obligatoires atteignent désormais 46% du PIB, la dépense publique 57,5% - records d’Europe ! – la dette 96%. Tant que les taux d’intérêt à 10 ans sont inférieurs à 1%, notre dette publique est maîtrisable. Mais s’ils grimpent à nouveau fortement, le service de la dette annihilera toute possibilité d’action publique dans notre pays. Laisser filer les déficits et enfler la dette publique est irresponsable.
Il faut garder le cap défini par François Hollande et Manuel Valls - promouvoir une nouvelle croissance en Europe, réindustrialiser la France, conforter notre République par les Chantiers de l’Egalité -, en profitant des vents enfin favorables. C’est ce que confirmera le Congrès de Poitiers.

Henri Weber, directeur des Etudes auprès du Premier secrétaire du Parti socialiste.